VOUS, Germaine c'est où les Indes ?

Vous, résumé des épisodes précédents

Claryce ne sait plus trop où il habite mais l'enquête continue.
 

 

 

 

 

 


« Germaine, c’est où les Indes ? »[1]
Une petite erreur lourde de conséquence pour l’avenir du monde.
Vous étiez là, interloqués devant ce guichet d’enregistrement des naissances de ce petit village du centre de la France pour faire inscrire votre nouveau né. Votre adresse à Don Koné, Indochine française avait laissé perplexe la fonctionnaire préposée aux écritures.
EL CAPITAN, c’est le nom que vous vouliez donner à votre enfant en souvenir d’un grand-père marin espagnol de Cadix.
EL CAPITAN, sexe masculin, né le 6 janvier 1920 à Randan, Puy de Dôme,
de :
Comte de Montpensier, le père né le 9 septembre 1884 à Château d’Eu
et de :
ELLE, la mère, née le 2 mai 1900  à Bassac, Berge du fleuve.
vivant en couple marital,
Adresse : Chemin de fer des bateaux à vapeur, Compagnie des Messageries Maritimes des Indes Orientales, Vat Kon Thaï, Ile de Don Koné.
La préposée écrivait lentement d’une belle écriture ronde, aux pleins et déliés parfaits tout en vous observant du coin de l’œil, évaluant les chances qu’elle avait d’attirer l’attention d'un bel homme comme vous, homme entré dans le cadre visuel de la vitre de son guichet depuis quelques minutes.
« Date de naissance de la mère ? » demande-t-elle, un sourire enjoleur aux lèvres.
ELLE, vous l’aviez rencontrée lors d’un de vos voyages en Indochine, remontée du Mékong en bateau à vapeur à la recherche de concessions minières fructueuses. Son père, ingénieur en mécanique avait participé à cette épopée de la conquête française du Mékong: le franchissement des chûtes de Khône. Une barrière rocheuse qui traverse tout le lit du fleuve, divisé là en mille bras et quatre mille îles avant de se précipiter dans un défilé rocheux long de plusieurs kilomètres puis redevenant sage et navigable.
Ce passage de 9km, l’état français s’était piqué de le franchir pour faire circuler des bateaux à vapeur sur le Mékong jusqu’à Luang Prabang et le Triangle d'Or. Le fleuve permettait de transporter facilement vers Saïgon le bois, les épices, les métaux précieux, le thé, le café, l’opium également et toutes cargaisons issues de cette riche vallée drainée par le fleuve sacré des neufs dragons jusqu'au delta de Cochinchine.
Une voie de chemins de fer longue de 9km avait été tracée, un pont construit pour accéder à l’île voisine. Les bateaux, découpés en plusieurs morceaux, halés sur l’embarcadère jusqu’aux wagons plateformes, étaient tirés par des locomotives à vapeur jusqu’au nord des chutes où ils étaient débarqués puis remontés.
Pendant  près de 50 années, de 1883 à 1939, les marchandises diverses, venant de la colonie du nord, passaient là, avant d'embarquer pour l’Occident, faisant gonfler le pécule d’EL CAPITAL de la Saïgonnaise de Navigation, du Courrier Fluvial de Cochinchine et des  banquiers européens.

Bois précieux pour les maisons, gomme d’hévéas pour les pneus des voitures, épices rares pour les tables princières, thé de Birmanie pour les salons anglais, café du Laos pour les bars français, poudre de pavot pour revente en Chine ou en Europe, autant de marchandises chargées et déchargées au Sud et au Nord de ces îles. Elles en devinrent si importantes que le gouverneur des Indes Orientales représentant l’état français y séjournait lors de ses voyages à l’intérieur de la colonie.
C’est lors de cette réception en l’honneur du Gouverneur Dumer qu’ELLE fut présentée au Comte de Montpensier, le teint blanc et les joues rougissantes devant ce beau chasseur de 15 ans son ainé qui devint éperdument amoureux et l’enleva très vite aux jupons de sa mère, lui demanda de le suivre dans ses voyages, de l’accompagner en France où il devait trouver la mort quelques années plus tard.
ELLE  donna naissance dans ce charmant village de Randam à un beau mâle qui devait à peine connaître son père.
Pensive dans ses pleins et déliés, émue, proche de l'extase en rêvant à ce qu’elle pourrait faire dans les bras de ce beau moustachu en face d’elle, la préposée changea par inadvertance (ou malice, ou jalousie) la dernière lettre du nom, lui donnant de l’aile.

EL CAPITAN devint donc EL CAPITAL ce qui devait changer la face du monde.
Parfois une goutte d’eau fait déborder le vase, une aile de papillon soulève une tempête de l’autre côté de la planète, un domino fait tomber en cascade les milliers d’autres rangés derrière lui.