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NOUS, roi du Pays des Eléphants

En ce temps-là le peuple jouait des pouces sur ses smartphones et le Compte de Bistromanie (on l'appelait COMPTE car il aimait beaucoup les banques)* ne voyait que du rose depuis qu’il avait pris le pouvoir dans cette république (dite la 5ème) pour devenir Roi du Pays des Éléphants.
(* On pourrait aussi l'appeler CONTE car c'était vraiment un faiseur d'histoires.)

Le soir de son accession au trône il s’adressa ainsi à son peuple :
 
 (Éléphant blanc)
- Nous, Compte de Bistromanie et Roi du Pays des Éléphants depuis que nous avons tué notre père par le mal de communication, décrétons que, pour notre intronisation, nos sujets doivent partir à la recherche de l’éléphant blanc sacré dans notre pays. Nous le monterons ce jour-là sur un palanquin d’or, entouré de trois mille guerriers de notre armée et de trois mille moines de notre église.
- Sire lui dit-on, l’éléphant blanc est très rare aujourd’hui, même au Pays des Éléphants, et vos sujets ne sont pas vraiment des chasseurs.
- Ce ne sont que des Bistromaniens, sales et mal habillés ! Mais c’est MON PRO JÉÉÉÉ T !  s’emporta-t-il, les bras en croix traversant les écrans de fumée.
Ainsi commença la vie de château de U MI MYI CHRON le nouveau monarque qui s’impatienta vite ne voyant pas l’ombre d’un éléphant blanc arriver.
« Qu’on nous pende quelques manants pour l’exemple car il leur suffirait de traverser la rue pour le trouver, mais ce sont des fainéants, tirez leur quelques pierres dans les yeux avec vos frondes automatiques et on le verra bien arriver ce sacré éléphant ! »


 

 

Elephant 1

(Éléphant gris)
Comme seulement 17 % de ses sujets aimaient bien ce monarque, l’éléphant blanc eut beaucoup de mal à arriver et la date du sacre approchant, pour donner le change, il fit peindre un éléphant gris en grand secret, de l’autre côté du royaume et le fit ramener par quelques-uns des conseillers à sa solde sans que cela lui coûte beaucoup. Pour la peinture, un technicien à particule fine éclairée, issu d’une grande école très connue dans le royaume, l’N-Art, lui recommanda le blanc de chaux afin d'économiser les deniers du trésor public.
Il a quand même largement puisé dans les caisses vides de son palais et demandé à son grand argentier de prévoir une augmentation des impôts tout en faisant croire au peuple qu’il les faisait baisser.
Bien sûr, comme 83 % de ses sujets ne l’aimaient guère c’est sur ceux-là qu’il tapa le plus fort, manière de faire gagner plus d’argent aux autres.
- Nous allons défaire ce que des années entières ce peuple a su construire, cette solidarité qui leur est chère, cette fin de vie qu’ils veulent oisive après leur existence à notre service – ce dont ils sont peu reconnaissants – ce système de santé publique qui leur est si précieux, ces soins gratuits auxquels ils aspirent, cette école qui leur explose le crâne et cette université trop intelligente bourrée de chercheurs inutiles,  avait-il chuchoté – lors d’une conférence secrète – aux oreilles de ses donateurs de la première heure qui lui avaient permis de tuer le père d’un coup de flèche empoisonnée plantée directement dans le dos.

 

(Éléphant rose)
Le jour du sacre, quelques trublions se faisant entendre bruyamment devant l’éléphant blanc de chaux, le ministre Castagneur lâcha ses chiens et ses canons à eau, ce qui fut du plus triste effet : les chiens mordant les mollets de la pauvre bête aux défenses blanc ivoire, celle-ci s’élança à toutes jambes sur le cortège tout devant, écrasant les militaires, piétinant les moines, l’eau de couleur rouge vif envoyée par les canons lavant la peinture blanche pour laisser apparaître un gris très commun et enfin la transformer en grosse fraise écarlate, puis en éléphant rose selon la loi des couleurs.
Sur son palanquin ballotté en tous sens, U MI MYI CRHON fulminait, tapait des poings sur ses gardes du corps, même Bandana, son ami intime reçut ce jour-là quelques coups.
Dès lors, le pays fut mis à feu et à sang pour plusieurs mois sur des places circulaires où l’on construisit des cabanes et dans les rues des villes de province ou de la capitale, puis, lorsqu’il y eut quelques vies perdues et beaucoup d’orbites crevées par les troupes de son ministre Castagneur, il fit voter des lois aux membres de son assemblée qu’on appelait « Go-di-lois » et pour calmer le peuple lança sur les écrans la grande chasse au trésor du Bouddha d’Or. 

 (Les shows du Bouddha d’Or)
Dans plusieurs grands shows nationaux retransmis toute la journée sur les écrans de fumée il déclara avoir compris son peuple :
- Nous, Roi de Bistromanie décrétons de nouvelles lois que notre assemblée va voter, pour donner plus à ceux qui en ont déjà beaucoup et donner moins à ceux qui n’en ont pas beaucoup. Quant à ceux qui n’ont rien et nous coûtent un max de pognon, ils finiront bien par partir ou repartir sans espoir de retour chercher ailleurs une vie meilleure, un monde différent, s’ils le trouvent. 

- Nous, Roi de Bistromanie déclarons ouverte la chasse au trésor dont on parle devant les comptoirs des bistrots du royaume. Dans une île de la mer d’Andaman où la vie coule comme du miel de lavande, partez à la recherche des feuilles d’or et des bouddhas innombrables cachés dans les grottes, sous les palétuviers et les mangroves, le long des plages au sable si fin.

(Éléphant jaune d’or)

À sa suite ou le précédant, EL CAPITAL jubilait : « enfin, voilà retrouvée l’époque d’antan, celle où les femmes restaient à la maison et où les enfants travaillaient, cette époque des colonies, sans dimanche et sans congés payés »
EL CAPITAL allait pouvoir faire fructifier son investissement sur ce roi au sourire enjôleur et à l’œil perfide halluciné, joyeusement allumé le soir en secret dans sa chambre sous le baldaquin aux rideaux de tulle blanc, où, depuis le jour de son sacre il dansait avec des éléphants roses mal apprivoisés.

Caché dans cette île dorée sous les cocotiers, EL CAPITAL était devenu le vrai maître du royaume et des éléphants jaunes à feuilles d’or, de tous ces éléphants jaunes qui parcouraient maintenant le monde tant ils en avaient semé depuis qu’ils avaient mis à bas les mammouths rouges venus de Sibérie.

 

Troisieme oeil grand 1U MI MYI CHRON

éléphant grisÉléphant gris

Capture 3Éléphant rose

Elephants jaunes

(Éléphant masqué)
Mais l’hiver suivant, durant lequel avec ses ministres et ses « Go-di-lois » il faisait la chasse à tous ces vieux et moins vieux qui pensaient seulement à vivre leur retraite tranquillement au Portugal ou en Tunisie[1] voulant les faire travailler plus et gagner moins, on vit s’élever par-dessus la jungle un drôle d’éléphant.
Le pachyderme n’attira pas immédiatement son attention ni celle de ses ministres bien occupés aux sports d’hiver à slalomer sur des plaques de neige artificielle fondue. Les astrologues eux-mêmes souvent si prompts à prédire les voies de l’avenir n’y avaient vu que du feu sur les écrans de fumée.
Pourtant, masqué, cet éléphant avançait rapidement dans le monde tel une grippe asiatique ou espagnole bien connue, ou plutôt mal connue car elle engendra très vite polémiques scientifiques et ragots de comptoirs, mais aussi de nombreux malades et tellement de victimes que l’on dut réquisitionner les patinoires pour congeler les dépouilles car on n’arrivait plus à les incinérer. Les hôpitaux du pays, aux lits bien rétrécis depuis plusieurs années, leur personnel exsangue et à bout de souffle, vaillant à l’ouvrage même sans gant ni trompette, n’y suffisaient pas.
Et U MI MYI CRHON, les yeux « roule-ta-bille » en gros plan sur les écrans de fumée, de jurer qu’on entrait en guerre, de féliciter bruyamment ces héros de la santé si méprisés hier, ces « premiers de corvées », d’annoncer les mesures d’urgence qui s’imposaient dans l’intérêt du pays tout entier. En vrai chef militaire, entouré de ses astrologues favoris, il déclara, à nouveau les bras en croix traversant les écrans de fumée :
- Nous sommes EN GUEEEERRRRRE !!!
- Sire, contre cet éléphant masqué dévastateur de nos finances, se cacher derrière des masques est inutile car nous n’en avons pas, et je ne vois plus qu’une seule solution, souffla le ministre Castagneur : lui envoyer frontalement tous les éléphants du pays avec en tête, trompe – qui trompe énormément – en avant et défenses immunitaires renforcées, vos éléphants roses si nombreux et surpuissants. Tous les « Go-di-lois » applaudirent et votèrent rapidement les édits promulgués dans tout le pays.
EL CAPITAL, fou de joie comptait déjà les dividendes supplémentaires qu’il allait pouvoir cacher dans les grottes de son île paradisiaque grâce aux subventions de l’état ou aux bons coups boursiers anticipés par ses plus grands valets.
« Gouverner c’est prévoir » se dit-il très enthousiaste.
Ne voulant pas être en retard d’une guerre comme cela l’était pour certaines protections antivirales et vitales, il passa commande d’immenses quantités d’assiettes en porcelaine auprès de tous les lieux qui fabriquent des porcelaines dans le monde, en prévision des grands banquets du Siècle qui ne manqueraient pas de s’organiser rue du Faubourg Saint-Honoré, lorsque cet éléphant masqué serait démasqué.
Le stockage des assiettes dans les couloirs et les chambres du palais fut si rapide et si désordonné que l’on peut facilement imaginer la suite à l’arrivée des éléphants roses appelés par le grand chef des armées, roi de Bistromanie.

Plus tard, privé de dessert, EL CAPITAL s’en fut tout penaud et fort dépourvu dans son île de la mer d’Andaman, jurant quand l’été fut venu qu’on ne l’y reprendrait plus. Là, le formidable trou creusé par l’éléphant masqué au sein des éléphants qui riaient jaune se mua en un grand trou noir, tourbillon à force centripète que nul ne put arrêter, attirant en son centre les milliards de feuilles d’or emmagasinées dans les coffres.

 

Elephant rose

- Sire, vous devez absolument prendre des dispositions pour arrêter cet enquêteur qui se fait appeler Claryce. Il connait la vérité et a pénétré dans le "Monde des Secrets" très bien gardé pourtant. Il a ouvert la trappe et semble avoir tout compris, votre ami EL CAPITAL vient de disparaitre dans le trou noir de l’île.
 - Je me suis toujours placé dans les mains du DEEESTIIIIIIIIIN ! Il faut se rendre disponible à sa DESTINÉÉÉÉÉE ! cria le roi les bras en croix en travers des écrans de fumée. C'est donc là où je me trouve, prêt à me battre et à défendre ce en quoi je crois tout en demeurant capable d'essayer de concevoir ce qui semblait impensable ![2] »
-  Qu’on le mette aux fers ! répondit le conseiller Castagneur, en attendant de rétablir la peine de mort !
- Castagneur, il faut être un peu plus malin avec ce peuple chamailleur, lui dit U MI MYI CHRON, en lui rappelant l’enseignement de ce révolutionnaire de science-fiction, Gunther Anders.
Ça avait très bien marché pour les shows du Bouddha d’Or :

 

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.

En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels.
On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir ». (Obsolescence de l'homme - Günter Anders - 1956)
Obsolescence de l’homme. éd de l' Encyclopédie des nuisances. trad : Christophe David.


 

CastagneurMinistre Castagneur

 

Castagneur n’ayant pas fait les grandes écoles, était plutôt partisan de la matraque et on devait souvent le freiner dans son exaltation barbare. Là, il avait un peu décroché en entendant toutes ces phrases successives un peu longues et savantes.
- Castagneur, insista le roi, écoute bien çà, et il répéta la dernière phrase : « On observe qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir »[3].
- Sire lui dit son astrologue marin, nommez-le gouverneur de l’île au trou noir paradisiaque, il devrait y trouver suffisamment de fortune pour arrêter de nuire.

Ainsi fut dit fut fait.